Tout comme nous, un chien peut avoir peur, que ce soit d'humains, d'objets ou même de congénères. Et de la même façon que nous, ils vont commencer à sécréter des hormones comme l'adrénaline ou le cortisol. Les réactions qui vont découler de cette production d'hormones vont être majoritairement involontaires (hérissement du poil, dilatation des pupilles, hypersalivation, raideur du corps, etc.) et certaines vont être volontaires sans pour autant être réfléchies (aboiements, grognements, assauts vers l'avant, etc.).
Imaginez quelque chose dont vous avez peur, peu importe la chose en question. De mon côté, ce sont les araignées, par exemple. Je vais donc avoir des réactions involontaires (tremblements, sensation de paralysie, sécrétion de sueur, etc.) mais également des réactions volontaires (éloignement de la bestiole en question, appel pour que quelqu'un fasse quelque chose, etc.). En résumé, là-dessus, nous sommes très semblables aux chiens, même si nos réactions diffèrent. D'ailleurs, je n'ai sans doute pas les mêmes réactions de peur que vous, certains seront plus expressifs que d'autres ou au contraire vont être inhibés en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent.
Je vais vous donner une situation en guise d'exemple : comme vous le savez maintenant, j'ai peur des araignées. Vous savez les réactions de peur que je peux avoir et vous savez également que je vais privilégier la fuite à toute autre tentative contre ce qui me fait peur. C'est quelque chose que je ne contrôle pas, que je ne peux pas réfréner. Je vais donc fuir dans le cas où la situation me le permet. En revanche, imaginez que mon compagnon m'emmène dans un endroit complètement hermétique où il y a une centaine d'araignées, sous prétexte qu'il faut « me guérir de ma peur. » Je vais me retrouver, imaginons, dans six mètres carré avec tout plein d'araignées autour de moi. Que va-t-il se passer ? Là où auparavant j'aurais fui, ici je vais sans doute hurler énormément, alors que je ne suis pas très expressive à la base à ce niveau. Puis, voyant que mes hurlements ne fonctionnent pas, je vais tenter d'éclater des araignées (désolée d'avance pour les défenseurs de ces braves bêtes). Je vais me rendre compte qu'il y en a trop et que mon comportement est inopérant, survient alors la tétanie. Je vais alors ne plus réagir du tout. Je vais réaliser que je ne peux plus rien faire, qu'aucune de mes réactions ne fonctionne. En état de détresse complète, je vais simplement me taire et ne plus rien essayer jusqu'à ce qu'on me sorte de cet enfer. C'est ce que l'on nomme l'état de détresse acquise : je sais que rien ne saurait me sortir d'une situation où je suis aussi mal qu'il est possible de l'être.
Qu'ai-je appris de cette situation ? J'ai appris en premier lieu que mon compagnon peut me mettre dans une situation absolument horrible sans jamais venir m'aider. Puis, j'ai appris que le fait de réagir, de quelque façon que ce soit dans ce genre de situation, ne m'est pas utile. Et enfin, j'ai compris que mon état de stress serait perpétuel dans une telle situation sans jamais que je ne puisse me sentir mieux, et ce même sans exprimer quoi que ce soit en terme de comportement.
A présent, voici Pablo, trois ans, Berger Allemand de son état, qui est décrit comme étant « agressif envers les hommes. » Pablo n'a pas été très bien socialisé aux humains quand il était petit et les seules expériences qu'il a eues auprès des hommes n'ont pas été très positives. Entre les saccades sur un collier étrangleur sur un terrain d'éducation et les cris des personnes qui ont eu à « le dresser, » il n'a retenu qu'une seule chose des hommes de façon générale : plus loin il se trouve d'eux, mieux il se porte. Dans la rue, depuis ces expériences pas tops, il se fait tout petit, la queue entre les pattes, le regard fuyant, dès que des hommes semblent s'approcher de lui et de son humaine. Son humaine a bien remarqué tout ça et ne supporte plus de le voir aussi apeuré. Il faut dire que ces sorties ne sont généralement agréables pour personne ; ni pour elle, ni pour Pablo.
Elle a décidé de faire appel à un professionnel pour que Pablo puisse de nouveau se comporter « normalement » en promenade. Qu'est-ce que « normalement » signifie ici ? Son humaine désire simplement que Pablo retrouve sa joie de vivre en promenade et que cette dernière ne le quitte pas quand ils croisent des hommes sur le chemin. Lorsqu'elle arrive chez un éducateur du coin avec Pablo, ce dernier s'approche alors qu'il se trouve en laisse. Vous ai-je dit que Pablo a très peur ? Ici, sa peur s'accentue au fil des pas de l'éducateur. Il cherche à fuir au bout de sa laisse d'un mètre et quelques. Il veut avant tout que cette situation s'arrête. Son cœur s'accélère, l'adrénaline et le cortisol affluent, il est dans un stress flagrant. Pour autant, l'homme s'approche toujours autant et quand il ne se trouve plus qu'à deux ou trois mètres, voyant qu'il lui est impossible de s'échapper, Pablo décide de se retourner, crocs dévoilés et crête dressée, pour aboyer et grogner contre celui qu'il pense être une menace. Et qui en est une actuellement. Pour lui, il n'y a pas de doute, cet homme est un danger potentiel.
De la fuite, il passe à l'agression, peut-être ce comportement sera-t-il alors plus efficace pour se débarrasser de la menace en question ? Les mots tombent, déboussolant totalement son humaine : « votre chien est agressif. » On amène donc la muselière et on fait en sorte qu'elle lui soit mise, de force bien entendu, pas le temps de la lui faire accepter, et surtout pas la volonté de lui laisser le choix. De nouveau, une fois muselé, l'éducateur s'approche de lui. Il aboie, il grogne, il se jette vers l'avant, s'étranglant, écumant, aboyant, grognant. Il tente de le faire fuir mais voit que ce comportement ne fonctionne pas non plus. Il va encore tenter pendant plusieurs minutes, alors que l'éducateur a la laisse en main. Cette personne mettra des saccades sur le collier, le pendra même à certains moments en bout de laisse pour faire en sorte qu'il arrête ce comportement.
La fuite est inefficace. L'agression est inefficace. Son humaine ne fait rien pour le sortir de cette situation, elle est alors sous le choc de ce qui se passe et croit faire confiance à un professionnel. Il n'a aucune issue. Il ne réagit alors finalement plus du tout. Il s'éteint. Ou tout du moins, les comportements s'éteignent. Il ne grogne plus, n'aboie plus, n'écume plus. On le croirait « guéri » de cette peur. En réalité, il est toujours effrayé, à l'intérieur. S'il ne réagit plus, c'est simplement qu'il sait que rien ne saurait le sortir de cette situation. En vérité, il ne s'est pas éteint. Il a simplement éteint ses comportements. Il n'exprime plus ses émotions. Pour autant, elles sont toujours bien présentes. Il a appris ce jour-là qu'exprimer des signaux pour faire comprendre sa peur aux humains ne lui sert à rien. Tétanisé au départ, il est finalement passé, au fil des minutes, à cet état de détresse acquise qu'on ne nomme pas assez souvent.
Cela vous semble horrible, pas vrai ? Et pourtant, bien que cela semble terrible pour la plupart d'entre vous, c'est typiquement ce que bon nombre de chiens ont à subir pour ne plus être des « chiens agressifs. » Est-ce que ce chien était agressif ? Non. Est-ce que ce chien avait peur ? Oui.
Certains chiens ne passeront pas par un comportement de fuite avant l'agression, ils agresseront directement pour éloigner ce qu'ils perçoivent comme une menace. Leur seule volonté sera alors d'éviter une situation qui les stresse, qui les rend inconfortables au possible, voire qui les effraie. De la même façon, certains humains coincés avec des insectes ou des animaux qui leur font peur chercheront à les écraser ou à les tuer sans chercher à fuir une situation qu'ils ne maîtrisent pas. D'autres s'immobiliseront complètement, incapables de réagir, avant de passer à une autre option proposée par le cerveau reptilien ou réaliseront simplement qu'il n'y a aucune solution.
Les réactions des chiens, et les nôtres, dans un contexte de peur, sont régies par le cerveau reptilien. Lorsqu'il passe dans cette partie du cerveau, le chien ne réfléchit plus, il en est incapable, et nous non plus d'ailleurs. Il agit par instinct de survie et n'est donc pas en état de faire un quelconque apprentissage, il est dans l'incapacité d'appréhender et de comprendre les conséquences de ses actions. Quand le chien passe dans cette partie du cerveau, il n'est plus capable que de trois réactions : la fuite, l'agression ou la tétanie. L'état de détresse acquise (aussi appelée impuissance apprise) survient lorsque le chien réalise qu'il n'y a aucune option, peu importe ses réactions. Dans cet état de stress intense, un chien pourrait se laisser mourir.
L'état de détresse acquise n'arrive qu'en tout dernier lieu, lorsque le chien se sent pris au piège et qu'il sait qu'il n'a aucun échappatoire. La fuite, l'agression et la tétanie sont toutes les trois inopérantes. Certains chiens ne passeront pas par toutes ces étapes. Ces réactions ne sont pas réfléchies, il n'y a pas une échelle de la peur. Un chien pourra présenter uniquement la fuite, d'autres présenteront uniquement l'agression et certains resteront tétanisés sans rien tenter d'autre avant de passer en état de détresse acquise.
Souvenez-vous de mon exemple dans la pièce des araignées et de ce que je vous ai dit ressentir dans une telle situation. Pour un chien, l'exemple est similaire. Ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de réaction qu'il n'y a plus de peur, bien au contraire. Alors certains chiens resteront inhibés toute leur vie après une expérience aussi traumatisante, on pensera alors d'eux qu'ils sont « guéris » car ils ne sont plus des « chiens agressifs. » D'autres en revanche réagiront deux fois plus fort lors de leurs prochains croisements avec l'objet de leur peur. Car ils sauront à quel point cette dernière est menaçante, on leur aura prouvé qu'ils auront une vraie raison de craindre quelque chose. Et puis, il y en aura qui ne montreront plus aucun signe de peur quel qu'il soit mais qui mordront un jour, sans avoir prévenu, sans avoir montré aucun signal de communication qui pourrait le laisser présager. On décrétera alors que ce chien est dangereux car il aura mordu sans prévenir, sans même se demander pour quelle raison il n'aura pas prévenu.
Cette technique que vous avez eu l'occasion de voir dans cette article se nomme l'immersion. On fait en sorte de confronter l'humain ou le chien à sa ou ses peurs. Elle n'est ni respectueuse ni bienveillante de l'individu en rééducation. L'état émotionnel est inexistant aux yeux de ceux qui la pratiquent. On retrouvera alors pêle-mêle des chiens qui ont peur des humains qu'on mettra en plein milieu d'un marché bondé, des chiens qui craignent les congénères au beau milieu d'autres chiens ou même des chiens effrayés par les voitures en bord de route. Passer par le cerveau reptilien pour des séances, qu'elles soient éducatives ou rééducatives, n'est pas éthique. Au-delà même du fait de passer en état de détresse acquise, le fait de déclencher des réactions de fuite, d'agression ou de tétanie n'est absolument pas respectueux du chien.
L'immersion ne se justifie certainement pas par ses résultats sur le long terme et encore moins par le respect de l'état émotionnel du chien. Eteindre les signaux de peur d'un chien sans travailler sur l'émotion en elle-même revient à ne pas prendre en compte à quel point ce dernier sera effrayé, sans pour autant avoir la capacité de l'exprimer. Rappelez-vous du parallèle fait en début d'article avec quelqu'un enfermé dans une pièce où se trouve sa plus grande peur. Et dites-vous que si vous ne feriez subir ça à personne, alors ne permettez jamais de le faire subir à un chien.
D'autres méthodes de rééducation existent, comme la désensibilisation et le contre-conditionnement, s'appuyant sur le néocortex (la réflexion) et le cerveau limbique (les émotions) du chien. La désensibilisation est le fait d'habituer progressivement un chien, sans jamais déclencher de stress ni de peur (donc vraiment tout doucement), au stimulus qui serait supposé le faire réagir par la vue, l'odorat, l'ouïe, etc. Le contre-conditionnement, quant à lui, permet de changer l'état émotionnel du chien en positivant le stimulus perçu au départ comme une menace. En alliant ces deux méthodes, on respecte l'état émotionnel du chien et on lui permet de ne plus percevoir ce dont il a peur comme une menace. Certes, ces deux méthodes sont plus longues car le chien n'est pas une machine, il lui faut du temps, de la même façon que nous. Cependant, les bienfaits sur le court et le long terme, ainsi que les résultats à la suite d'une rééducation menée de cette façon, ne sont plus à prouver.
A choisir, lorsque votre chien est perçu comme un « chien agressif, » un « chien dangereux » ou un « chien méchant, » tournez-vous vers des professionnels qui sauront vous dire ce qu'il en est vraiment et dans quel état émotionnel est votre chien. Mettez des mots sur ce dernier : « il a peur face à telle ou telle chose, » « il est inquiet dans cette situation, » « il est méfiant à cause de mauvaises expériences, » etc. Ne laissez personne catégoriser votre chien d'un mot, ce n'est pas représentatif d'une situation et encore moins de son tempérament. « Agressif, » « dangereux, » « méchant » sont des adjectifs inutiles, ils ne disent rien du chien. Pourquoi réagit-il ? De quoi a-t-il peur ? Que s'est-il passé pour qu'il présente ce comportement à ce moment précis ? Résumer un chien à un mot serait non seulement pauvre de sens mais aussi incroyablement faux. Votre chien est un individu, avec sa personnalité, son vécu, ses expériences et ses émotions. Il ne se restreint pas à un simple adjectif. Et si vous tombez sur un(e) professionnel(le) qui n'a que ça à vous dire et qui vous propose une méthode comme l'immersion, alors trouvez quelqu'un d'autre.
Je ne l'ai pas mentionné auparavant mais il est vrai que dans certaines races, pour être plus précise au sein de certaines lignées, la sélection est axée sur la protection, la défense et l'attaque. Certains individus issus de ces lignées auront donc tendance à être plus proactifs que les autres face à des stimuli qui vous sembleront incroyablement petits et qui passeront donc à l'agression directement. Si la sélection a été faite dans ce sens, ce n'est pas surprenant de le voir, pour autant ça ne signifie pas qu'aucun travail de rééducation n'est possible. Je pense ici à des lignées de Bergers Belges, de Bergers Allemands, de Montagnes de Pyrénées, et autres. Tous ne sont pas comme cela et même certains individus dans des lignées sélectionnées pour la défense, l'attaque ou la protection ne réagiront jamais ainsi. Pour autant, il est bon connaître la sélection faite sur la lignée dont est issu votre chien, de sorte à savoir dans quoi vous vous engagez et en quoi les réactions peuvent différer d'autres individus face à la menace.
Les problématiques de peur qui s'intensifient avec le temps sont encore bien trop fréquentes pour bon nombre de raisons : manque de socialisation, mauvaises expériences, incompréhension des signaux de communication, etc. Alors avant toute chose, lorsque vous accueillez un chiot ou un chien chez vous, n'hésitez pas à vous faire aider. Tout ce dont je vous ai parlé plus haut est quelque chose qui se rencontre malheureusement trop souvent et qui, dans la majorité des cas, aurait pu être évité par un bon accompagnement dès l'arrivée du nouveau membre de la famille dans son foyer.
Et surtout, n'oubliez pas ceci : si vous voyez chez un(e) professionnel(le) des chiens qui « se déclenchent » (aboient, grognent, etc.) en étant tenus en laisse (voire portant une muselière) et étant dans l'impossibilité de s'éloigner de ce qui les effraie, cette personne ne pratique ni la désensibilisation ni le contre-conditionnement. Pour quelqu'un qui maîtrise ces deux façons de faire, un déclenchement est synonyme d'échec sur la séance. Cela signifie que le chien a pris peur et qu'il ne lui est donc plus possible d'apprendre à ce moment précis.
Alors bien entendu, des chiens qui aboient, qui grognent, qui se jettent en bout de laisse, ça donne du spectacle à voir. Mais demandez-vous simplement : ce spectacle en vaut-il la peine si c'est pour que le chien soit dans un état émotionnel désastreux ? Des vidéos de chiens écumant, les poils hérissés et les crocs dévoilés, il y en a des tonnes sur internet. Pour autant, quantité n'est généralement pas synonyme de qualité, pour le plus grand malheur de ces chiens.
Je remercie Fanny pour la photo de son chien Toruk en muselière et je rassure tout le monde : la photo a simplement été prise à un moment où son loulou baissait les oreilles. La muselière est pour lui quelque chose de positif, l'apprentissage de son port a été mené de la bonne façon, de sorte à ce qu'il soit à l'aise avec.
© Toutougether - Nicoline Droogmans
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